Il est devant moi, accoudé au comptoir du spa. Sa voix est dure. Elle le regarde, un sourire crispé aux lèvres. Elle ne trouve pas son mail.
«Si vous aviez fait votre travail, je n’aurais pas à me déplacer, à faire la queue 20 minutes. Qui est responsable? Il y a forcément un responsable. »
Il est en vacances. Il lui parle comme si elle n’était rien.
Sa femme se barre en crachant qu’elle en a ras le bol de perdre son temps.
La jeune fille sourit toujours. On a du lui dire pendant sa formation que le client est roi. Qu’il faut toujours sourire. Quelle que soit la façon dont on lui parle.
« Monsieur, vous ne pouvez pas lui parler sur ce ton. Rien ne justifie la façon dont vous lui parlez. »
Il se retourne, me regarde comme si j’étais un microbe posé sur sa manche par inadvertance.
Elle lui propose un massage à 19:00. Il voulait 18 heures.
Il va claquer dans la semaine ce qu’elle gagne dans l’année. Et il est très contrarié parce qu’il va se faire masser à 19 heures. Il voulait 18 heures.
J’ai regardé Milo. J’ai lu dans son regard qu’il était atterré. Ça m’a rassurée.
Je me suis souvenue que plus jeune, j’avais peut être été pareille. Je me suis souvenue des colères légendaires de mes anciens patrons. Des larmes et d’avoir tant fait le dos rond. J’ai repensé à ces Ministres qui envoyaient valser un dossier à l’autre bout de leur bureau en piétinant votre ego. Je me suis souvenue de tous ceux juste au dessus qui faisaient régner la terreur juste en dessous, de haut en bas mais jamais de bas en haut, comme un jeu de dominos.
À la fin de mon massage, elle m’a demandé si c’était bien, j’ai dit parfait comme si je voulais lui montrer qu’il y avait aussi des gens normaux.
Vieillir ne veut pas juste dire avoir quelques fils d’argent dans les cheveux et quelques rides au coin des yeux. Vieillir, c’est prendre dans la gueule la conscience de l’essentiel.
L’homme devant moi au comptoir du spa avait les cheveux blancs.
En sortant, j’ai acheté un déo au pamplemousse pour Milo. Dessus, il y a écrit «Mon premier deo ». Vieillir, c’est aussi les regarder grandir et se dire qu’ils seront peut être un peu moins cons que nous. Mais pas moins fous.
Je vous embrasse.